Christopher Nolan : « Tenet synthétise tout ce qui m’obsède depuis des années »
Tenet : Interview avec Christopher Nolan
Le réalisateur nous a accordé une longue interview pendant le confinement. A relire avant de revoir le film de SF sur TMC. Si nous avez pas encore vu Tenet, rassurez-vous. Cet entretien avec Christopher Nolan, réalisé avant la sortie du film et publié à l’origine dans le numéro de juillet-août 2020 de Première, ne contient aucun spoiler sur le blockbuster qui a la lourde charge de « sauver le cinéma ». A lire avant ou après la rediffusion du film, ce soir du TMC.
La genèse de Tenet
Première : Alors parlons de Tenet. « Ask Chris », « Chris knows best. » J’ai interviewé votre productrice Emma Thomas et vos acteurs, mais personne ne veut me raconter de quoi parle ce film qui reste comme d’habitude très mystérieux ! Vous pouvez m’en dire plus ?
Christopher Nolan : Ah ah. Vous allez être déçu, mais non. Je préfère que vous le découvriez en salles, vierge de tout préjugé ou de tout commentaire. C’est quand même l’un des plus grands plaisirs en tant que spectateur, non ?
La forme et le fond
Pour chaque film, et Dunkerque n’était pas une exception, je tente de trouver la forme qui correspond le mieux à ce que je veux raconter. J’ai toujours senti que la forme devait épouser le fond – et vice versa. Les deux doivent s’imbriquer, fusionner.
Tenet, un film d’espionnage
Tenet utilise effectivement tous les codes du genre. Pour Dunkerque, je ne voulais pas faire un film de guerre parce que ça ne m’intéressait pas de suivre ces conventions. Pas plus que de les renverser d’ailleurs. Pour raconter mon histoire, Dunkerque devait être un thriller sous tension, un thriller hitchcockien si l’on veut. C’est l’approche stylistique qu’on a privilégiée. Mais pour Tenet, un peu à la manière d’Inception, je suis parti du genre. Il m’a ici servi de tremplin.
Tenet : un nouveau regard sur le cinéma d’action
Ce film m’a offert la possibilité de proposer un nouveau regard sur le cinéma d’action et ses possibilités de divertissement. Quand on utilise ce mot de « divertissement », particulièrement en anglais, il est souvent connoté négativement, teinté de superficialité. Mais pour moi, il est synonyme d’engagement, d’implication. Les spectateurs doivent avoir les yeux rivés sur l’écran, être immergés dans des univers qu’ils n’ont jamais foulés ; il s’agit de donner au public une « expérience » qui lui permettra, de la manière la plus intense possible, de déconnecter de sa réalité quotidienne.
Un héros de notre époque
Disons que j’ai la sensation que le personnage de John David Washington est un héros de notre époque. Il est écartelé, il est en pleine tension, coincé entre sa loyauté envers son pays et envers l’humanité en général. Quand on regarde ce qu’il se passe aujourd’hui, j’ai l’impression que c’est une idée pertinente, non ? Nous sommes tous liés, tous interconnectés, mais où va notre loyauté ? À quelle nation ? À quelle idée ? À quelle culture ? J’ai l’impression que c’est une question qui se pose de manière très crue de nos jours.
Les codes du cinéma d’après 11-Septembre
Ce n’est sans doute pas un hasard si c’est une donnée importante du cinéma d’après le 11-Septembre. Les films américains sont devenus, depuis les attentats, hyper-militarisés. Dans les films d’espionnage, il y a toujours ce conflit moral : qui sommes-nous, où allons-nous ? Où va l’humanité ?