Angoulême 2023- jour 5 : Sébastien Lifshitz, L’air de la mer rend libre et Bungalow
Angoulême 2023- jour 5 : Sébastien Lifshitz, L’air de la mer rend libre et Bungalow
Le film du jour : Madame Hofmann de Sébastien Lifshitz
Tout débute par un rendez- vous chez un médecin. Sylvie Hofmann, infirmière cadre dans un service oncologique d’un hôpital des Bouches du Rhône et héroïne – dans tous les sens du terme – de ce documentaire a perdu l’ouïe. Suspicion d’AVC, surmenage, stress… Cette scène inaugurale donne le la de ce qui va suivre : la dernière ligne droite mouvementée de Sylvie avant son départ à la retraite, au terme de 40 ans de bons et loyaux services dans le même établissement. Pendant un an, Sébastien Lifshitz l’a suivie dans sa vie professionnelle comme personnelle. Et une fois encore, le réalisateur d’Adolescentes réussit un tour de force en mêlant longue et courte focale, collectif et individuel. En dressant un état des lieux d’un hôpital public tout en racontant cette femme sans filtre, entière, roseau qui plie mais ne rompt jamais malgré les cancers à répétition de sa mère, celui qui menace à terme ses seins et ses ovaires, les soucis cardiaques de son compagnon et son rythme infernal au bureau où le COVID n’a fait qu’aggraver une situation déjà chaotique (heures qui n’en finissent pas, manque criant de personnel…). Et le film est à son image : jamais désespéré, avec chevillée au corps une foi dans les générations qui arrivent (formidables scènes avec son équipe de jeunes infirmières jusqu’à un dernier jour en forme de feu d’artifice) auxquelles il manque simplement une rémunération à la hauteur de leur engagement. Lifshitz capte, comme à son habitude sans commentaire en voix- off, ces scènes de groupe et d’échanges avec son mari ou sa mère toujours à bonne distance, dans le bon mouvement et les mêle aux moments où Sylvie Hofmann se confie hors caméra et exprime tout ce qu’elle tait à son service : ses doutes, ses angoisses, ce stress qui la ronge… Incroyablement forte et pourtant si fragile. Le tout en seulement 1h44 après un nouveau travail virtuose de montage. Profondément humain et puissamment politique, sans conteste le plus beau film de cette édition 2023 d’Angoulême.
Sortie en avril 2024
Le duo du jour : Youssouf Abi- Ayad et Kenza Fortas pour L’air de la mer rend libre
D’un côté Kenza Fortas, révélée par Shéhérazade (qui avait triomphé à Angoulême en 2018 avec trop trophées, dont le Valois du meilleur film) avec un César du meilleur espoir féminin à la clé qui a prouvé depuis, avec Bac Nord, qu’elle n’était pas que l’actrice d’un seul rôle. De l’autre, Youssouf Abi- Ayad, révélé sur scène par Christophe Honoré dans Les Idoles et Le Ciel de Nantes qui fait ici ses grands débuts sur grand écran, s’imposant d’emblée comme un favori au prix d’interprétation masculine. Tous deux forment le duo central de L’air de la mer rend libre – le plus beau titre des films en compétition -, le nouveau Nadir Moknèche. Depuis son premier long, Le Harem de Madame Osmane en 2000, le réalisateur de Délice Paloma et Lola Pater n’a eu de cesse de tordre le coup aux clichés sur la représentation sur grand écran des personnages d’origine maghrébine d’un côté et de l’autre de la Méditerranée. Et il poursuit cette quête avec L’air de la mer rend libre autour d’un mariage arrangé par leurs parents respectifs entre Saïd – jeune homme dissimulant son homosexualité à sa famille qui, bien que n’en n’étant pas dupe, refuse de l’admettre – et Haja, brisée après une histoire d’amour toxique avec un dealer qui lui a valu des ennuis judiciaires. En s’appuyant sur ce jeune homme à la croisée des chemins retardant le moment où il devra choisir entre vivre sa sexualité et sa famille et cette héroïne tout sauf soumise, Moknèche signe un film aussi engagé qu’engageant sur l’acceptation de soi, sur l’inéluctabilité d’une émancipation pourtant tout sauf évidente chez l’un comme chez l’autre. Mais sa subtilité doit aussi beaucoup à l’interprétation tout en nuances de son duo de jeunes comédiens, particulièrement à l’aise dans l’expression des contradictions de leurs personnages, jamais enfermés dans des archétypes et sans cesse en mouvement, en dépit de ce que ça leur coûte.
En salles le 4 octobre
La comédie du jour : Bungalow de Lawrence Côté- Collins
L’achat d’un nouvel appartement ou d’une maison à rénover se révèle dans 99,9% des cas source d’emmerdes à répétition dont l’aspect rocambolesque constitue une source d’inspiration inépuisable pour les scénaristes. Et c’est justement nourrie de ses propres expériences douloureuses et de celles de ses proches que la québécoise Lawrence Côté- Collins a imaginé ce Bungalow où un jeune couple sur le point de devenir parents pense avoir trouvé leur petit nid douillet sans se douter que la signature de cette maison en banlieue de Montréal marque d’abord et avant tout le début de leur descente aux enfers. L’ombre des frères Coen d’Arizona Junior et de Fargo plane sur cette comédie noire bien secouée où l’on croise aussi bien des truands à la mine patibulaire que l’équivalente québécoise de Valérie Damidot. Et ce au fil de situations où la réalisatrice a choisi l’arme du burlesque comme pièce centrale de sa satire contre les dérives d’une société de consommation qui pousse à vouloir toujours plus beau, toujours plus grand, toujours plus rutilant avant que la pression sociale qu’elle induit ne fasse imploser en plein vol les plus fragiles et les moins armés dans leur quête d’un bonheur de carte postale forcément inaccessible. Un film aussi réjouissant que grinçant.
Sortie indéterminée